L’EAU DANS LES MAINS DE WALL STREET ?
Les spéculateurs peuvent déjà parier sur la neige, le vent et la pluie, au moyen de contrats à terme pouvant être négociés à la Bourse de Chicago. Avec une augmentation de 20 % entre 2010 et 2011 de la valeur de ce marché de la météorologie, la fièvre qui s’est emparée de Wall Street transforme mère nature en mère de tous les casinos. Avec comme autre exemple l’initiative internationale « The Economics of Ecosystems and Biodiversity » (TEEB), qui vise à calculer jusqu’au dernier trillion de dollars la valeur des écosystèmes. La faculté de Wall Street à tirer des profits de la bulle alimentaire, l’incapacité de Washington à réglementer les dérivés (financiers) globaux et la forte tendance à faire de la nature une marchandise. ont convergé cet été vers un seul et unique foyer : la sécheresse qui s’est abattue sur les Etats Unis. Une avalanche de prédictions sociales et environnementales sinistres a accompagné cette sécheresse : en 2035, trois milliards d’êtres humains seront affectés par le stress hydrique, le manque d’eau deviendra chronique, les incendies de forêt se déclareront partout, les moussons deviendront imprévisibles et la fonte des neiges décroîtra de manière drastique, étant donné le nombre d’hivers suffocants. Or, dans le même temps, l’eau est devenue essentielle pour un spectre de plus en plus large d’industries, allant de la houille blanche à la fracturation hydraulique, de la brasserie à la fabrication des semi-conducteurs. Les conséquences sont effroyables : destruction d’écosystèmes, extinction d’un nombre incalculable d’espèces, risques de conflits régionaux et internationaux. Sachant que les plus gros profits ne viennent pas de la vente ou de l’achat de choses bien réelles (comme des maisons, du blé ou des voitures), mais bien de la manipulation de concepts tels le risque et les dettes collatérales, investir dans l’indice boursier « eau » est aujourd’hui recherché comme jamais. Il existe plus de cent indices pour suivre et apprécier la valeur des titres et les actions des entreprises engagées dans le business de l’eau comme les services publics, l’assainissement et le dessalement. Et l’eau est un candidat possible pour des contrats à terme sur le marché des matières premières : elle satisfait aux conditions de fongibilité (l’eau pompée d’un lac, d’un cours d’eau ou d’un torrent est pratiquement la même que celle provenant d’un iceberg, d’un aquifère ou celle recueillie dans un baril d’eau de pluie), et elle devient de plus en plus convertible en cash. L’eau exploitable du futur sera si rare qu’il faudra l’extraire comme un minerai, la traiter, la conditionner, l’embouteiller et, plus important encore, la déplacer et la transporter à travers le monde. Ils savent pertinemment que la demande ne tarira point. L’idée maîtresse d’un marché à terme global de l’eau réside derrière ce concept . Le premier pas a déjà été fait en 1996, avec la création par un district américain d’une messagerie électronique qui permet aux fermiers de vendre ou d’acheter leurs droits sur cette eau à partir de leurs ordinateurs. Dans ce cadre, parier sur l’eau se fera clairement aux dépens des récoltes et augmentera les prix alimentaires mondiaux au-delà des pics enregistrés au cours des cinq dernières années. Pourtant cela peut encore être évité, comme le prouve la gestion du bassin de la Ruhr en Allemagne : la ressource fluviale est gérée non par la main invisible des marchés, mais par un organisme politique appelé Association de la Ruhr, comprenant des représentants des villes, des départements, des industries et des entreprises de la région qui négocient les droits pour les prises d’eau et les charges imposées à la pollution. Une politique qui fonctionne…
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