Brèves prospectives

LE FUTUR DU TRAVAIL À L’ÈRE NUMÉRIQUE, ENTRE NOUVELLE ORGANISATION MONDIALE DES COOPÉRATIONS INDIVIDUELLES ET NOUVEAUX MODÈLES DE DOMINATION

Le numérique porte en lui une marchandisation de soi inédite, qu’elle soit explicite – on vend ses services comme on vend sa voiture sur Le Bon Coin (aujourd’hui deuxième site emploi de France), on tweete pour se faire remarquer des recruteurs – ou implicite (toute information devient monétisable, tous nos comportements sur le web sont susceptibles d’être “trackés” et dévoilés à des fins de vente…). Dans ce Nouveau Monde où même la vie privée devient marchande émergent les problématiques du travail “caché”, “invisible” ou “gratuit” : nous produisons constamment de la donnée “en nous amusant”, sans être rémunérés. Pour autant, parce qu’il permet notamment de faire du loisir un travail, et vice-versa, le numérique a rendu possible la construction collective de biens communs à l’échelle internationale, sans rémunération, dont Wikipedia est le meilleur exemple. De nouvelles conceptions de la création de valeur peuvent donc désormais être explorées, à partir de la valeur du réseau (la richesse de la mise en relation des idées) et de la richesse du nombre (1 milliard de personnes travaillent gratuitement pour Facebook). Dans ce cadre, plusieurs acteurs du numérique proposent de nouveaux modèles de mesure de la valeur et de la rémunération:

  • Les value driven networks (ou “réseaux guidés par la valeur”) : les contributions sont acceptées à priori, puis la communauté juge de leur valeur, et les rémunère en conséquence. Le contributeur peut ensuite devenir sociétaire.

  • La Peer production License (ou “licence de production de pairs à pairs”) : toutes les personnes contribuant à la production d’un bien commun peuvent en bénéficier gratuitement, les autres doivent payer une licence pour l’exploiter (comme si Wikipedia n’était accessible gratuitement qu’à ses contributeurs).

  • La redistribution de la taxe sur les données (proposition de Colin & Collin, auteurs du rapport sur la fiscalité de numérique) : une partie de la valeur de Facebook est créée par les utilisateurs, elle pourrait être taxée pour les rétribuer.

  • Le micro-paiement universel : toute contribution devrait être rémunérée (le moindre post sur Facebook nous rapportait de l’argent).

  • L’économie du partage, en plein boom, qui supprime des intermédiaires et permet de monétiser des actifs qui, auparavant, ne l’étaient pas : c’est le modèle d’AirBnB, qui permet à chacun d’être rémunéré en qualité d’hôte

  • L’invention d’un nouveau système monétaire virtuel, comme celui des Bitcoins, qui viendrait se substituer à celui qui existe actuellement.

  • Ou encore, le revenu de base inconditionnel (proche du revenu minimum garanti).

Dès lors, en érigeant de nouvelles normes de la valeur du travail et de la rémunération, les architectes du Nouveau Monde vont-ils créer les conditions du bonheur et de l’égalité pour tous ? Rien n’est moins sûr, prévient Alain d’Iribarne, chercheur au CNRS, car “le bien commun est commun pour le groupe social qui le considère comme tel”. Selon lui, les nouveaux modèles nés de la transformation numérique ne font pas exception : à l’instar du modèle de l’entreprise, ils sont le produit d’une construction sociale. Alors, le numérique va-t-il faire émerger une inédite organisation mondiale des coopérations individuelles ou, à l’inverse, de nouveaux modèles de domination à une échelle tout aussi spectaculaire ?

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